Mise à jour le 11 juin 2006

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Dieu existe-t-il?

Un jour, alors qu'un baba* bektashi se promène dans la rue, un homme l'arrête et lui pose cette question : « Dis-moi : est-ce que Dieu existe?

- Mais bien sûr qu'Il existe, lui répond le Bektashi étonné.

- Mais comment peux-tu en être aussi sûr?

Et le baba bektashi de lui répondre : « Vois-tu, j'ai quatre-vingts ans, et depuis quatre-vingts années on se bat et c'est toujours Lui qui a le dernier mot. »

* On attribue le surnom de baba », qui veut dire père. à ceux des Bek­tashi qui ont atteint un certain degré dans l'évolution spirituelle

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Tant qu'il a des vêtements, il est condamné à mourir

Un Bektashi, pauvre et errant, n'ayant pas mangé un morceau de pain depuis plusieurs jours, assoiffé, fatigué, avait croisé sur son chemin des villages où l'on n'aimait pas les Bektashi. Il avait été chassé de tous ces villages à cause de ses vêtements. Bref, tout en continuant son chemin, il arrive dans un village et aperçoit de loin les villageois réunis. Il comprend qu'il s'y passe quelque chose. Il s'approche et voit qu'ils viennent d'attraper un renard et se disputent entre eux pour savoir quelle puni­tion il faut lui donner. Le Bektashi demande : « Mais qu'est-ce qu'il vous a fait cet animal ?

- Ce renard nous a volé toutes nos poules. Ce matin, après avoir veillé des jours et des nuits, nous avons enfin réussi à l'attraper. Et maintenant nous nous disputons pour savoir quel châtiment lui infliger.

-  Je vais lui en donner un, propose le Bektashi, et en plus vous verrez qu'il ne tiendra pas longtemps.

-  Eh bien, d'accord, disent-ils, tu vas choisir un châti­ment car tu n'es pas de ce village. Tu feras probablement un meilleur choix.

Le Bektashi attrape le renard, lui pose sur la tête son turban et lui met sur le dos son rulka, sa robe, et donne un coup de pied à l'animal qui s'enfuit à toute allure. Les villageois, fous furieux, lui disent : « Mais qu'as-tu fait? Tu as libéré cet animal qui reviendra nous bouffer nos poules.

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N'essaie pas tout de suite

Un Bektashi se trouve sur un bateau. De nouveau une tempête se déchaîne, et tous les passagers sont de nouveau en train de prier Dieu. Chacun promet des biens. L'un promet de faire des sacrifices, l'autre d'offrir des centaines de pièces d'or, un troisième affirme même qu'il sacrifiera tous ses biens. Entendant toutes ces promesses, le Bektashi se met à sourire et s'exclame : « Mon Dieu, ne le sauve pas tout de suite, c'est juste le moment de s'enrichir. »

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La pauvreté

Un Bektashi qui était très très pauvre prend place un jour dans une caravane et part en voyage cinq jours durant. Le pauvre Bektashi n'avait rien. La caravane est attaquée par des voleurs qui commencent à fouiller les passagers. En voyant que le Bektashi n'a rien, ils le mettent de côté. Alors que tout le monde se lamente et pleure d'être séparé de son bien, le Bektashi ne cache pas son bonheur en regardant cette scène. Les voleurs, après avoir récolté ce qu'ils cherchaient, partent. Ses compa­gnons de route se mettent en colère contre lui, disant : « Mais tu n'as pas de pitié. Alors que nous on se faisait voler et maltraiter, toi tu souriais, tu rigolais sous cet arbre. » Le Bektashi leur répond : « Ecoutez, pardonnez-moi, mais pour une fois que la pauvreté est un privilège, pourquoi ne serais-je pas heureux? »

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Les bouteilles

Un jour, dans une mosquée, un imam déclara pendant son prêche que ceux qui commettaient l'horrible péché de boire du vin se retrouveraient en Enfer avec autour du cou toutes les bouteilles qu'ils auraient bues pendant leur triste existence.

Frappé par ces paroles, un Bektachi présent dans l'assistance se leva et demanda si les bouteilles seraient vides ou pleines. L'imam, songeant à alourdir - au sens propre du terme - le fardeau des pécheurs, répondit qu'elles seraient bien sûr pleines à ras bord !

Et l'on vit alors le Bektachi quitter la mosquée en sautant de joie...

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Les manches

Un baba Bektachi et un baba Mevlevi se rencontrent sur un chemin. Ils se donnent le salut (avec le salut des derviches "Hu") et le baba Bektachi l'interroge par de bons mots sur son habit :

- Pourquoi vos manches sont-elles aussi larges ?

Le baba Mevlevi lui répond :

- Lorsque nous faisons des erreurs dans la voie, et nous voyons nos manques, nous les jetons dedans.

Le baba Mevlevi lui demande alors :

- O sainteté, vous n'avez pas de manches, qu'est ce donc que ce vêtement dont vous portez ?

Le baba Bektachi lui dit alors :

- Dans notre voie, nous ne faisons pas d'erreurs. Nous n'avons donc pas besoin de manches.

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Le Chien battu

Un jour, un Bektachi passa devant une mosquée. Par la porte ouverte, il vit l'imam qui battait un chien errant. Le Bektasi s'avança jusqu'au seuil et interpella le religieux pour lui demander pourquoi il battait cette pauvre bête.

- C'est pourtant évident, répondit l'imam, cet animal stupide ne sait même pas qu'il n'a pas le droit d'entrer dans la maison d'Allah, alors je le frappe pour lui inculquer cette règle si simple !

Le Bektachi prit un air songeur et hocha la tête.

- Oui, je vois... Je suis d'accord avec toi, tu as bien raison de faire cela. C'est vrai que les hommes sont bien plus intelligents que les chiens. Moi, par exemple, il ne m'est jamais venu à l'esprit d'entrer dans la maison d'Allah...

 

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Le deuil

Un soir, à Istanbul, le derviche Mehmet, un des adeptes de Bektâchî, était installé à la terrasse d'un café, en face de la mosquée. Il admirait les décorations lumineuses des minarets, mises en place à l'occasion du Ramadan. Un fanatique, sortant de la mosquée, s'avança vers lui et dit d'une voix grave :

-  Tu admires la beauté de nos minarets ? Tu ne fais ni le jeûne du Ramadan, ni la prière à la mosquée. Attends-tu l'arrivé du Ramadan juste pour admirer les décorations ?

-  Moi, j'aime le Ramadan en tant que Ramadan, comme j'aime Ali en tant qu'Ali'.

-  Mais, nous, les croyants, ne sommes pas comme vous. Nous voudrions que tous les jours soient des jours de Ramadan, que tous les jours soient des jours de jeûne.

-  C'est ce que tu dis aujourd'hui, mais dès que le Ramadan sera terminé tu feras la fête. Chez nous, quand nous perdons un être aimé, nous portons le deuil.

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La dette

Lors du Ramadan, dans une assemblée, les participants parlaient de leurs dettes envers Dieu. Certains préconisaient trois jours, d'autres un jour de jeûne à faire pour s'acquitter de cette dette. Lorsque ce fut le tour de Bektâchî, on lui demanda :

- As-tu des dettes ?

Bektâchî ne fut pas dupe et ne tomba pas dans le piège, il répondit poliment :

-  Oui, malheureusement j'ai des dettes à payer à l'épicier de notre quartier.

Ils se mirent tous à rire :

-  Mais non, mais non, ce n'est pas de cela dont on parle, on te demande si tu as une dette envers Dieu. Alors, Bektâchî sourit et dit :

-  Seigneur, ne vous formalisez pas, mais c'est à Dieu de m'interroger sur mes dettes envers lui. Quant à vous, vous ne pouvez que m'interroger sur mes dettes envers l'épicier.

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Qui va manger le baklava ?

Un Baba Bektachi, un Sheykh Mevlevi et un Hodja (sunnite) étaient devenus amis. Il se promenèrent ensemble de village en village, égayaient les coeurs des gens qu'ils rencontraient et recevaient ce qu'Allah voulait bien leur donner. Ils se retrouvèrent un soir, dans une salle d'un village. Cette soirée, pour l'iftar, il y avait parmi les plats, un plateau d'un seul baklava. Le Hodja pensant pouvoir se le réserver fit une proposition à ses amis :

- O sainteté... Si on voulait manger à trois ce baklava dans ce petit plateau, on n'en sentirait même pas le goût. Mais si l'un de nous le mange, au moins, il pourra s'en rassasier. Je vais vous faire une proposition. Après le repas on ira se coucher et à celui qui fera le plus beau rêve lui sera destiné ce baklava.

Le Bektachi et le Mevlevi acceptèrent et après le temps de prière ils se couchèrent. A l'aube, le Hodja se lèva et réveilla le Sheykh Mevlevi :

- Mon ami, j'ai vu un rêve, si tu savais...

Le Mevlevi lui dit alors :
- Qu'il soit béni, raconte.

Le Hodja raconta alors :
- Que Dieu l'agrée, que tes bontées soit agréées... J'ai vu dans mon rêve que j'étais mort. Ils me tenaient et m'avaient emmené au septième étage sous terre. C'était le haut Paradis. Je voyais des eaux abondants de toute part. Soixante douze sortes de fruits tombaient de l'arbre de Tuba. Autour de moi se promènaient Huri et Gilman. Je me divertissais, d'un côté, je buvais et buvais le vin du Kawsar, puis mangeais des agneaux bien rôtis et à ce moment je me réveillai.

Après avoir écouté son rêve, le sheykh Mevlevi lui répondit :
- Très joli. C'est vrai que vous avez vu un très beau rêve. Mais le mien semble plus beau encore!..

Alors le Hodja s'inquiéta d'un coup :
- Alors raconte ce qu'était ton rêve ?

Le Mevlevi lui répondit :
- Dans mon rêve, j'étais aussi mort, les anges m'ont emmené et m'ont élevé au septième ciel. Tous les Prophètes s'y réunirent à l'intérieur de la lumière... Les ney se jouaient et se jouaient... On tournait et on tournait...

Le Hodja immédiatement :
- Par Dieu, c'est vrai que ton rêve est beau. Dans ce cas-là, on peut le manger nous deux...

Et à ce moment le Baba Bektashi se réveilla. Le Hodja et le Mevla lui demandèrent alors :
- Qu'as-tu vu comme rêve ?

Le Bektachi :
- Dans mon rêve, j'ai vu que l'un de vous était au septième ciel, jouant du ney, tourne et se divertit, et l'autre au septième étage sous terre au paradis, parmi les huri et gilman, buvant du vin de Kawsar, s'ennivrant... Pensant que vous n'alliez plus revenir de là-bas, je me suis levé et j'ai mangé le baklava.

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Qu'est-ce que ça peut te faire ?

Pendant le Ramadan, un derviche Bektachi se retira dans un coin et dégusta ses mets. Un sofu vint à lui en colère :

- N'est ce pas honteux de manger devant tout le monde pendant le Ramadan ?!

- "Qu'est-ce que ça peut me faire ?" répond le Bektachi...

Le sofu lui dit encore plus irrité:
- Non mais tu n'es pas musulman ?!

Le bektachi répond placidement :
- Bien et qu'est-ce que ça peut te faire ?

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Procès

Un jour, Bektâchî attendait un visiteur. Qu'allait-il lui offrir à manger? Il était tellement pauvre ! Il ne voulait pas avoir honte !

Un voisin juif possédait un troupeau de chèvres. Il lui en vola une et l'égorgea.

Le juif, caché derrière l'arbre avait vu toute la scène. Il se dit : « Si je vais chez Kadi-juge, tous les deux sont musulmans et moi juif. Je ne pourrais pas gagner ce procès. Même si je gagne, qu'est-ce qu'il pourrait me donner ? Plus tard, nous rendrons compte auprès de Dieu !»

Bien des années après, le juif porta plainte contre Bektâchî devant Dieu. Le tribunal s'installa autour de lui.

Dieu se tourna vers Bektâchî :
- Tu as égorgé la chèvre de mon adepte juif. Bektâchî:
- Non, je ne l'ai pas fait.

Le juif s'insurgea :
Je l'ai vu de mes propres yeux !

Bektâchî:
- Dans un procès, une personne ne peut être à la fois plaidant et témoin.

Dieu :
- Tu as raison, mais tu sais que je vois tout ! J'ai vu, moi aussi, que tu as égorgé la chèvre.

Bektâchî réagit immédiatement :
- Mon Dieu, dans un procès on ne peut être témoin et juge à la fois !

Dieu réfléchit et dit :
- Tu as encoe raison. Alors cherche-moi la chèvre, nous allons lui demander !

Bektâchi :
- Quoi ? La chèvre aussi est ici ? Alors donne-la lui et le jugement n'a plus lieu d'être !

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Allah pardonne. Mais...

Un jour ils ont interrogé un Bektashi:

– Baba Eren, pourquoi ne tenez vous pas le jeûne ?
Par Allah, je l’aurais tenu mais ma condition, ma force ne me le permettent pas.
Si on vous appellait à la rupture du jeûne (iftar), irais-tu ?
Aaa.. Véritablement quoiqu’il arrive j’irais.
Mon cher, comment est-ce possible ? Tu ne respectes pas les prescriptions d’Allah et tu te permets d’accepter l’invitation faite aux Serviteurs de Dieu.
Qu’y-a-t-il à reprocher ? Vous savez que Allah est le Miséricordieux des miséricordieux. A une heure honorable Il accorde immédiatement le pardon aux pêchés de ses Serviteurs. Mais est-ce que les hommes sont comme cela ? Pour les moindres petites choses, ils s'affligent. Pour cette raison, il faut accepter immédiatement leur invitation.

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Là-haut on a accepté ton crédit,
alors pourquoi n’accepterait-on pas mon comptant ?

Un Bektashi et un Hodja prennent route ensemble, puis le Hodja :

C’est l’heure du namaz ! dit-il, et il commence à prier.
Rakat sur rakat, salut sur salut…

Le Bektashi à l’attendre perdait patience, quand le Hodja termine, il lui demande :
C’est quoi cette longue prière?
Il me restait des prières en retard à rattrapper !

Le Bektashi:
Allez moi aussi je veux faire la prière ! dit-il et il commence à prier…

Mais la prière ne se termine pas, le hodja n’a pas pu se retenir en fin de compte et dit:
Eren, ta prière a duré vraiment trop longtemps ?!
J’ai accompli les prières de la semaine dernière ! dit le Bektashi

Le Hodja, troublé :
Non, mais ce n’est pas possible ce genre de choses ?!?

Le Bektashi rit :
Là-haut on a accepté ton crédit, alors pourquoi n’accepterait-on pas mon comptant ?

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Cela doit être de son ânerie

Insisté par ses amis et ne pouvant refuser, un Baba Eren va à la mosquée, et écoute les prêches du Hodja concernant l’alcool et racontant ce qui lui venait à l’esprit. Et à un moment il dit :

– Devant un âne si on lui met un récipient d’eau et un récipient de vin, lequel boira-til ? Certainement l’eau. Mais pourquoi l’âne ne boit-il pas de vin ?

Le Bektashi n’a pu se retenir et lui dit :
Cela doit être de son ânerie.

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Il est capable de nourrir ces poissons avec nos cadavres

Un Bektachi entreprend un voyage et s’embarque sur un bateau à voile, comme ceux de cette époque. Une tempête se lève et bientôt, le bateau est sur le point de sombrer. Le Bektachi a vraiment peur ; parmi tous les passagers, il est peut-être celui qui a le plus peur. Or les passagers comptent aussi parmi eux un mollah, et comme de coutume, entre théologiens et Bektachi, une discussion s’engage au sujet de la foi. Le mollah interroge le Bektachi : « Mais pourquoi as-tu si peur ? Ne sais-tu pas que Dieu est généreux et protecteur ?

C’est pour cela que je tremble : Il est tellement généreux qu’Il est capable de nourrir ces poissons avec nos cadavres.

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J’ai dit la même chose et vous m’avez battu

A la mosquée, un Bektachi écoute un imam prêcher avec beaucoup d’enthousiasme : « Allah, Dieu, n’est ni sur Terre, ni au ciel. Il ne se trouve ni à gauche ni à droite, ni en bas ni à gauche ni à droite, ni en bas ni en haut, ni sur la terre ni dans les océans. Dieu n’est pas limité par l’espace : il est seulement dans le cœur des fidèles. » Soudain le Bektachi se lève et dit : « Oh peuple ! vous vous rappelez très bien qu’il y a quelques semaines je vous ai dit que Dieu n’existait pas, et vous m’avez battu pour cela. Et cet homme est en train de dire la même chose, et vous l’écoutez tranquillement ! »

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Qui sait peut-être quelqu’un a prié pour lui demander un âne.

Un jour, un Bektachi décide d’aller à la mosquée (il était exceptionnel qu’il aille à la mosquée et c’était l’une des rares fois). N’ayant pas trouvé d’endroit pour attacher son âne ou quelqu’un à qui le confier, il le laisse devant la mosquée en disant : « Mon Dieu je Te le confie. »

Lorsqu’il sort de la mosquée, il ne voit plus sont âne. « Qui sait, s’exclame-t-il, quelqu’un a dû prier Dieu pour qu’il puisse avoir un âne ! Dieu a du lui passer le mien. »

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Peut-être c’est mieux en dessous

Un Bektachi se trouve parmi ses amis qui parlent du manque d’éthique de la population. Un des hommes a dit : « Si ça continue comme cela, si les hommes continuent à commettre des choses affreuses, ce monde se renversera. » Le Bektachi hausse les épaules et déclare : « Qu’est-ce que tu en sais ? Peut-être en dessous c’est mieux qu’au dessus!

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Qui est le plus maudit parmi nous?

Ce Bektachi était un homme un peu bossu et pas très beau à voir. C'est-à-dire qu'il était laid de visage. Le sultan de l'époque était Memet IV qui était un passionné de chasse, tellement passionné que l'histoire l'évoque sous le nom de Memet le Chasseur. Il passait son temps à chasser le lapin et divers animaux. Tôt un matin, le Bektachi passe devant le palais du sultan, alors qu'il part à la chasse. Ses guerriers, ses chevaux, ses serviteurs, bref un grand nombre de chevaliers défilent sous les yeux du Bektachi. Manque de chance ce jour-là, Memet le Chasseur n'attrape rien. C'est la première fois que le sultan revient de la chasse sans aucune proie. Furieux de cela, il essaye de comprendre pourquoi il n'a rien pu prendre ce jour-là. Finalement un de ses vizirs se rappelle de ce Bektachi croisé à la sortie du palais, et dit au sultan : « Vous vous rappelez ce bossu devant qui nous sommes passés ce matin? Peut-être est-ce un homme maudit et que vous n'avez-vous rien pu prendre parce que vous l'avez croisé à la sortie du palais, à l'aube, et que c'était la première personne que vous avez vue? » Convaincu, le sultan envoie ses hommes pour attraper le Bektachi. Peu après, celui-ci se trouve dans la cour devant le sultan. On lui explique la raison de sa présence dans le palais et on le condamne à mort en lui disant qu'il est un homme maudit. Le Bektachi, tranquillement, jette un regard au sultan et dit : « Dites-moi, qui est le plus maudit de nous deux : toi tu m'accuses d'être maudit car tu n'as pas pu tuer quelques lapins à cause de moi, et moi je suis condamné à mort parce que je t'ai vu ce matin. Alors dis-moi vraiment, qui est le plus maudit de nous deux? » Cette réponse plut au sultan, et le Bektachi fut libéré.

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Comment vas-tu T'occuper de l'univers?

Un Bektachi arrive dans la ville pour faire ses courses et cherche un endroit sûr pour y laisser son âne. Il fait le tour de la ville: l'endroit le plus sûr se trouve devant la mosquée. « Mon Dieu je le confie à Toi, dit-il tout en attachant son âne, car tu sais qu'il est précieux pour moi. »
Ensuite,l'esprit tranquille, il va faire ses courses. Au retour, il ne trouve plus l'âne à sa place. « Mon Dieu,
s'exclame-t-il, je ne comprends vraiment pas. Tu n'es même pas capable de garder l'âne que je Te confie, comment vas-Tu T'occuper de l'univers? »

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C 'est facile de les nourrir avec la part des autres

Un Bektachi vient de s'acheter chez le boucher une belle tranche de foie. Il rentre paisiblement chez lui, le paquet à la main, quand soudain un chien lui saute dessus, happe la tranche de foie et s'enfuit. Le Bektachi s'exclame tristement: « Mon Dieu, du moment que Tu les nourris avec la part des autres, c'est facile de créer et de laisser traîner ces créatures.

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On ne peut espérer mieux pour une ceuvre accomplie en six jours

Quelqu'un pose cette question à un Bektachi : « Pourquoi ce monde n'est-il pas tout plat ? Il y a des montées et des descentes, des montagnes caillouteuses et des terres fertiles, des rocs qui entravent le chemin des hommes. Dans certains lieux il neige, dans d'autres sévit la sécheresse; d'autres encore sont couverts de gazon. Pourquoi tout n'est-il pas étal dans ce monde? »
Le Bektachi répond : « On ne peut espérer mieux d'une oeuvre accomplie en six jours dans la précipitation. »

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Je ne me mêlerai jamais des oeuvres de Dieu

Un baba Bektachi va un jour au hammam. Le hammam est un lieu non seulement de pauvreté, mais aussi un lieu propice à la solitude et à la réflexion. Au milieu des hammams, habituellement, se trouve une plaque en marbre que l'on appelle gué Bektachi c'est-à-dire la pierre centrale au-dessous de laquelle on chauffe de l'eau. Cette plaque de marbre maintient la chaleur et permet aux hommes de transpirer et de se débarrasser de leurs toxines. Allongé sur cette plaque de marbre chaud, le Bektachi est en train de réfléchir : « Mon Dieu, Tes ceuvres sont tellement subtiles et raffinées qu'il est certain que les hommes ne peuvent les comprendre. »

Soudain il aperçoit un cafard comme il y en a beaucoup dans les hammams, du fait de l'humidité. « Par exemple ce cafard, dit-il, d'accord tu l'as créé mais pourquoi le fais-tu traîner dans des endroits pareils, coincé entre le marbre et les cailloux? Pourquoi laisses-tu les cafards traîner dans ces eaux alors que les autres insectes vont de par les champs, sur les arbres, parmi les fleurs? Et en plus, on peut dire que les autres insectes sont utiles, ce qui justifie peut-être leur existence, mais cet insecte, à quoi sert-il vraiment? »

Bref, le moment des réflexions fini, le hammam terminé, le Bektachi s'étant bien lavé, il retourne dans son tekke.Mais le lendemain matin, il ressent une démangeaison sur les fesses. Il se mit à se gratter. Mais, plus il se gratte plus cela gonfle, plus il gratte, plus cela gonfle, et à la fin il lui est impossible de s'asseoir. On fait appel à des médecins : les onguents que l'on propose n'y font rien. Ainsi allongé durant plusieurs semaines sur le ventre, le Bektachi n'apprécie pas cette situation car non seulement ses fesses lui font mal, mais en plus il est devenu handicapé. Alors, évidemment, la nouvelle se répand dans la ville. Beaucoup d'amis du Bektachi viennent lui rendre visite comme c'est la coutume. Parmi eux l'un de ses anciens amis intimes lui demande : « Que s'est-il passé? Comment cela est arrivé?

- Il y a quelques jours, répond le Bektachi, je suis allé au hammam. Le lendemain j'ai commencé à me gratter et ainsi est venue cette chose bizarre.
- Mais, tu as bien appelé le médecin!
- Bien sûr, mais aucun remède n'a fait effet. »

A ce moment-là, son ami lui dit : « Tu sais, moi je connais un médicament.

- Lequel?
- Envoie tout de suite quelqu'un dans le hammam où tu es allé. Fait lui ramasser tous les cafards qu'il peut trouver; tu les écraseras dans un bol pour en faire une pommade. Mets-la immédiatement sur tes fesses et tu verras que cela passera. »

Le Bektachi appelle sur le champ un de ses disciples et lui demande : « Vas dans ce hammam et rapporte-moi tous les cafards que tu y trouveras. »

Chose vite faite. Et l'on applique sans attendre la pommade de cafard sur les fesses du Bektachi. Immédiatement ses démangeaisons disparaissent. Guéri de cela, quelques mois plus tard le Bektachi prend le bateau pour aller visiter un autre tekke Bektachi qui se trouve sur une île. Mais une tempête commence à chahuter le bateau et tous les passagers, paniqués, se réunissent à l'avant pour prier ensemble afin que cette tempête cesse. Alors que tout le monde implore Dieu, le capitaine du bateau aperçoit le baba Bektachi assis à l'arrière du bateau avec son verre de raki et quelques mets, tranquillement en train de boire et d'observer la situation. Le capitaine étonné de ceci s'approche du Bektachi et lui dit « Espèce de mécréant, tu ne crains donc pas Dieu! Tout le monde dans ce bateau est en train de prier, de supplier Dieu pour faire cesser cette tempête alors que toi, posément, tu bois cette espèce de boisson maudite. »

Le Bektachi écoute les paroles du capitaine tranquillement, sourit et dit: « Ecoutez-moi : moi je me suis mêlé une fois de Ses affaires dans ma vie, ce qui m'a coûté bien des douleurs et du chagrin, sans compter que je n'ai pas pu m'asseoir sur mes fesses pendant plusieurs mois. L'océan Lui appartient, tout Lui appartient. Qu'Il veuille couler ce bateau ou non, c'est Son affaire, je ne m'en mêle plus. »

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Vous Le flattez trop

Il fait très chaud. Assoiffé, un Bektachi décide d'acheter une pastèque avec les quelques sous qu'il a en poche. La pastèque à la main, il trouve une belle ombre sous un arbre et coupe avec grand appétit sa pastèque. Mais, portant le premier morceau à la bouche, il la trouve tellement aigre qu'elle est difficilement mangeable. Il se met à crier des insultes : « Mais mon Dieu, pourquoi as-Tu été si radin que tu n'as pas mis quelques gouttes de sucre dans cette pastèque. Tu fais des faveurs à Tes serviteurs, mais ce n'est jamais comme il faut. »
Bref, maugréant ainsi, comme il vient de dépenser ses derniers sous pour elle, il la finit malgré son amertume et laisse son écorce à ses côtés. Allongé sous ce même arbre, à moitié endormi, il voit un pauvre homme s'approcher. Celui-ci, également affamé et assoiffé, aperçoit l'écorce de pastèque et commence à la manger. Discrètement, le Bektachi l'observe en faisant mine de dormir. Il voit avec étonnement que le pauvre, chaque fois qu'il mord dans l'écorce de pastèque s'exclame : « Mon Dieu, je T'en remercie, Tu m'as nourri encore aujourd'hui avec cette écorce de pastèque. Tu as assuré ma subsistance. »
En entendant ceci, le Bektachi, furieux, se lève et dit « Arrête, moi j'ai mangé l'intérieur même si c'était amer et de ce fait je ne rai pas remercié. Et toi, tu manges l'écorce et tu ne cesses de remercier Dieu pour ce que tu manges. C'est à cause de flatteries de ce genre qu'Il se permet de faire des choses pareilles. »

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Le diable

Un Bektachi avait un fils qu'il soupçonnait de commettre des actes honteux. Le Bektachi décide un jour de suivre son fils pour le surprendre en d'accomplir de tels actes qu'il ne pourrait nier, afin de lui faire promettre de ne plus les refaire. Enfin, il attrape son fils au beau milieu d'un bordel, dans une situation vraiment gênante. Le fils, surpris, ne peut plus nier et s'exclame : « Pardonnez-moi, c'est le diable qui m'a amené ici. » Le Bektachi se fâche et dit:: « Mon fils, tu mens, car satan qui est tellement orgueilleux qu'il a refusé de s'incliner devant notre père Adam, ne va pas s'abaisser à te servir de guide dans un bordel. »

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Il ne me manque qu'une bouteille de raki

Un Bektachi entre dans une mosquée et se met à prier : « Mon Dieu, je voudrais que tu m’offres une bouteille de raki (alcool). »

A ses côtés, un homme pieux l’entend et s’écrie : « N’as-tu donc rien d’autre à demander à Dieu. Tu sais bien que le raki est interdit !

– Mais que pourrais-je demander ? s’exclame naïvement le Bektachi.
– Hé bien, tu pourrais demander la bénédiction de Dieu, sa miséricorde, ou encore sa clémence…»
 

Le Bektachi se lève alors et s’exclame : « Les gens demandent ce qu’ils n’ont pas. Moi, j’ai la miséricorde de Dieu, sa clémence. Il ne me manque qu’une bouteille de raki. »

 

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